« Laissez tomber La Menace Fantôme, le nouveau Star Wars est en train de se tourner en Nouvelle-Zélande ». Cette phrase, lancée par Rafik Djoumi, rédacteur en chef de l’hebdo web BiTS, il y a plusieurs années, lui a voulu les foudres de la geekosphère. Pourquoi et comment en est-il venu à penser ça ?
« Alors qu’il est dans sa vingtaine, Peter Jackson fait un film amateur, Bad Taste qui, par un concours de circonstances, se retrouve au Festival de Cannes : la Commission néo-zélandaise n’ayant pas assez de films à amener au Festival cette année-là, elle a emporté Bad Taste dans ses bagages. Film qu’elle va le mieux vendre au Marché du film, et ce, dans quasiment 40 pays.
Cet exploit va immédiatement faire de Peter Jackson une valeur sure du cinéma néo-zélandais. Parce que, curieusement, on ne sait pas pourquoi, mais son truc amateur tourné dans le jardin de ses parents intéresse les acheteurs internationaux. Lorsque Jackson se retrouve à Cannes pour ce film-là, c’est un ado de 25 ans qui débarque de sa cambrousse, il est vraiment à la ramasse, il n’est pas prêt psychologiquement et dans sa tête, il ne s’est pas encore lancé dans le cinéma.
Marc Toullec, un journaliste de Mad Movies, vient de voir le film et l’a trouvé super drôle, il demande naturellement à interviewer le réalisateur. On lui amène un Jackson complètement paumé (genre : « Qu’est-ce qui m’arrive ? ») qui va réaliser sa toute première interview, pour Mad Movies.
Cette première fois va donc créer, au fil des ans, une sorte de complicité naturelle entre lui et Mad Movies. Au moment où j’arrive à Mad Movies, il y a donc déjà une histoire entre Peter Jackson et le magazine.
Lorsque j’apprends que Jackson bosse sur Le Seigneur des Anneaux…, je deviens fou. Je suis évidemment un nerd, j’ai grandi avec Lord of the Rings qui était notamment la bible de mes potes rôlistes. Et ça me rend complètement marteau, parce qu’au fil des ans, j’ai vu que ce mec donnait à chaque fois quarante fois plus que ce qu’on lui demandait : Il fait un film amateur, il est vendu dans 40 pays, quand les Japonais lui demandent de faire un truc télé avec des marionnettes, il fait Les Feebles, vendu dans 40 pays, quand il fait un petit film d’auteur à 5 millions — c’est-à-dire en gros le budget d’un film d’auteur français — comme Heavenly Creatures, il est nommé aux oscars (catégorie Meilleur scénario original) et découvre Kate Winslet, dont c’est l’un des premiers films.
Mon calcul a été simple : en 1995, il vient de signer un deal avec New Line, qui était un petit studio, ce qu’on appelait une mini major, pour faire Le Seigneur des Anneaux. New Line n’a pas non plus toute la thune du monde, tout ce qu’ils peuvent lui donner c’est 300 millions de dollars, donc 100 millions par film.
Pour Hollywood à l’époque, cela n’a aucun intérêt, c’est un Néo-Zélandais qui va faire un film à 100 millions. Moi ce que je vois, c’est qu’à chaque fois, ce Néo-Zélandais a donné plus que ce que l’on présageait, donc avec 100 millions, pour moi, il allait faire un film à 400 millions. Le calcul était automatique.
Je me dis : « Il va enfin nous faire ‘Le Seigneur des anneaux’ qu’on attend et dont tout le monde s’accorde à dire depuis des années qu’il est totalement inadaptable ». J’étais intimement convaincu dès le début, dès que j’ai vu la petite news de trois lignes dans Variety (annonçant le projet en cours), que ça allait être un événement formidable. Et d’autant plus formidable qu’il était libre de faire le film tel qu’il l’entendait puisque les médias ne s’y intéressaient pas du tout.
J’ai réussi, non sans mal, à convaincre mon rédacteur en chef de l’époque de me laisser le champ libre là-dessus. Mon projet était de faire un article par mois sur le film jusqu’à sa sortie. Ça voulait dire, tenir deux ans et demi pour annoncer chaque mois des nouvelles du film : le premier article parlait de la signature du contrat, le deuxième du casting, etc.
Au fil des mois, les gens qui s’intéressaient à ça, c’est-à-dire la communauté qui lisait ce type de bouquins, les rôlistes, etc., ont commencé à se dire : « WTF, il y a un Seigneur des Anneaux qui se fait et aucun magazine n’en parle ? » Si, il y en a un, c’est Mad Movies et tous les mois ils écrivent quelque chose dessus. Du coup, c’est devenu la seule source d’information francophone pour ces gens-là. Je me souviens même que des Québécois m’écrivaient pour avoir l’autorisation de reprendre les articles sur leur propre site.